Mieux seul que mal accompagné

Von Anick Baud

La bourse suisse a vu émerger plusieurs histoires à succès issues de spin-offs. Alcon, Accelleron ou encore Sandoz illustrent à quel point une séparation stratégique peut révéler un potentiel insoupçonné.

Au cours des récentes années, plusieurs introductions sur la bourse suisse se sont distinguées par le fait qu’elles étaient des spin-offs de grands groupes, ou d’anciennes divisions issues de ces derniers. Cela a été le cas par exemple du spécialiste de l’ophtalmologie Alcon en 2019, anciennement propriété de Novartis, du fabricant de turbo-compresseurs Accelleron en 2022, spin-off d’ABB, du leader des médicaments génériques Sandoz en 2023, spin-off de Novartis, ou encore de Galderma*, entreprise spécialisée dans la dermatologie, vendue par Nestlé à un fonds de private equity en 2019 avant de venir grossir les rangs de la bourse suisse en 2024. Ces opérations se sont toutes avérées de grandes réussites. Depuis leur mise sur le marché, les titres ont non seulement largement surperformé ceux de leurs anciennes maisons mères, mais également fait mieux que l’indice des actions suisses (Alcon excepté) : Alcon +46% contre +49% pour Novartis et +46% pour le SPI depuis son IPO, Accelleron +154% contre +111% pour ABB et +27% pour le SPI, Sandoz +81% contre +17% pour Novartis et +19% pour le SPI, et Galderma +87% contre +9% pour le SPI et -16% pour Nestlé. 

Ces performances impressionnantes s’expliquent-elles par un engouement du marché pour la nouveauté ou par le fait que l’indépendance a permis à ces entreprises de mettre en avant leurs atouts et ainsi mieux refléter leur potentiel?

La simple introduction en bourse ne suffit pas à expliquer un tel succès, d’autant que l’accueil réservé à d’autres IPOs helvétiques récentes a été bien moins favorable. C’est le cas notamment de Stadler Rail (-41% depuis 2019, contre +46% pour le SPI), de Polypeptide (-63% depuis avril 2021, contre +17% pour le SPI) ou encore de Montana Aerospace (-33% depuis avril 2021, contre +18% pour le SPI).

Le parcours d’Alcon illustre parfaitement combien une activité prometteuse peut être étouffée au sein d’un grand groupe et révéler tout son potentiel une fois indépendante. 

Fondée au Texas en 1945 par deux pharmaciens qui ont fait de la vente de produits pharmaceutiques pour les yeux leur spécialité, l’entreprise a été rachetée par Nestlé en 1977 pour USD 280 millions. En 2002, Nestlé a décidé d’introduire 25% du capital sur le marché américain, valorisant ainsi l’entreprise dans sa globalité à environ USD 10 milliards. Quelques années plus tard, Novartis a annoncé son intention de racheter la participation de Nestlé et de faire une offre publique d’achat sur le reste, déboursant au passage USD 51.5 milliards, ce qui constituait en 2010 la plus importante opération financière jamais réalisée en Suisse. Si cette opération a été fructueuse pour Nestlé, pour Novartis elle s’est rapidement avérée décevante. Les résultats de sa nouvelle division se sont inscrits très loin de ses espérances, la croissance n’étant pas au rendez-vous. Après plusieurs mois de réflexions, le sort de l’ancienne entreprise texane a été scellé en 2017, avec la décision de procéder à un spin-off. L’une des erreurs majeures de Novartis aura été de ne pas considérer Alcon comme une priorité stratégique. Les revenus de la division ont ainsi plutôt servi à financer la recherche dans d’autres segments d’activité jugés plus prioritaires, ce qui a entraîné un sous-investissement dans la R&D et les capacités productives, et donc permis à la concurrence de gagner du terrain, notamment dans le domaine des lentilles intraoculaires. Depuis son indépendance, le groupe a pu réorienter ses priorités stratégiques et opérationnelles, en remettant notamment l’accent sur l’innovation, et réussi, grâce à plusieurs lancements novateurs, à retrouver les parts de marché perdues. Être autonome lui a également permis de gagner en agilité et d’optimiser l’allocation de ses ressources, plutôt que d’obéir aux contraintes imposées par les cycles de développement, les processus de production et le modèle de ventes d’un grand groupe comme Novartis.

Même constat pour Sandoz, qui a longtemps été perçu par le marché comme le maillon faible de Novartis. Le manque de synergies entre les divisions génériques et biopharmaceutiques, ainsi qu’un profil de marges très différent, ont souvent été pointés du doigt. Depuis son indépendance, Sandoz a su se recentrer sur ses priorités, gagner en agilité, optimiser l’allocation de ses ressources et réduire ses coûts, tout en s’émancipant des contraintes imposées par sa maison-mère. Ces efforts lui ont permis de libérer tout son potentiel en tant qu’acteur de premier plan dans les génériques et les biosimilaires.

Si l’on remonte plus loin dans l’histoire des séparations réussies, comment ne pas mentionner Burckhardt Compression? Autrefois division du conglomérat industriel Sulzer et à peine rentable, l’entreprise est devenue indépendante en 2002 à la suite d’un management buy-out, avant d’être introduite en bourse en 2006. Depuis, le cours de son action a explosé, enregistrant une hausse de 1’115%, contre +450% pour Sulzer et +182% pour le SPI.

Ces exemples montrent que le marché tend à pénaliser les conglomérats, souvent perçus comme des regroupements d’activités avec peu de synergies, tout en offrant une prime aux «pure players». En se recentrant sur leurs activités stratégiques, ces derniers parviennent à créer davantage de valeur pour toutes les parties prenantes, y compris les actionnaires, comme en témoignent les performances boursières des sociétés citées. Les séparations ne profitent d’ailleurs pas uniquement aux filiales mais, dans une moindre mesure, également à la maison-mère. Ainsi, dans le cas de Novartis, comme d’ailleurs celui d’ABB avec Accelleron, le marché a salué la décision de recentrage et de simplification structurelle. La récente décision prise par Georg Fischer de finalement se séparer de ses divisions «Casting Solutions» et «Machining Solutions» pour devenir un acteur de premier plan dans les systèmes de tuyauterie (+11% depuis l’annonce, contre +4% pour le SPI) laisse augurer de futures opérations prometteuses sur le marché suisse – tournant la page d’une époque où la diversification des activités était la règle.

Source : Allnews