L’inflation, cette épée de Damoclès au-dessus de Donald Trump

Von Sébastien Ruche, Le Temps

Elu sur la promesse de maîtriser la hausse des prix, le président américain est forcément conscient qu’il ne peut pas échouer sur ce point. Mais plusieurs des mesures qu’il a annoncées sont de nature inflationniste. Aveuglement ou stratégie en plusieurs étapes?

Donald Trump risque-t-il d’avoir un problème d’inflation? La hausse des prix a été la première préoccupation des Américains au moment de l’élection présidentielle. L’ex-promoteur immobilier l’a emporté en assurant qu’elle ne repartirait pas (et que la croissance serait solide). Or depuis son entrée en fonction, le républicain a multiplié les annonces de mesures potentiellement inflationnistes, à commencer par l’instauration de tarifs douaniers.

Son raisonnement n’est pas toujours facile à comprendre et des médias ont même parlé de la guerre commerciale la plus stupide de l’histoire. Mais on peine à imaginer que le président de la première économie du monde ne soit pas conscient du risque que les prix repartent à la hausse. Ou au moins que son entourage ne lui ait pas signalé. D’autant plus que, à un niveau de 3% en rythme annualisé, l’inflation a encore surpris à la hausse en janvier, c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur des droits de douane supplémentaires. Comment le président compte-t-il contenir l’inflation?

Dix pour cent de droits de douane sur quelque 525 milliards de dollars de produits chinois depuis mardi passé. Des tarifs douaniers de 25% sur tous les produits importés du Mexique et du Canada dès le 1er mars. Et sur l’acier et l’aluminium qui entrent aux Etats-Unis dès le 12 mars. Sans oublier l’annonce, vendredi, de tarifs douaniers «réciproques» avec le reste du monde. Autant d’initiatives qui risquent de renchérir les produits consommés par les ménages américains ou les composants utilisés par les entreprises du pays.

Menaces, exemptions et retour en arrière

«Donald Trump veut relancer l’économie, réduire le déficit commercial américain ou diminuer les dépenses publiques, ce qui peut avoir un effet sur l’inflation, mais il n’a pas annoncé de mesures spécifiques contre l’inflation pour le moment», observe Fabrizio Quirighetti, de la société de gestion genevoise Decalia.

Par ailleurs, «on manque toujours de visibilité sur la mise en place des différentes mesures, sur les taux des droits de douane qui seront appliqués, sur quels produits ou pays, à partir de quand ou encore sur l’ampleur de la baisse des dépenses du gouvernement», souligne l’économiste.

Lors de son premier mandat, Donald Trump avait ainsi annoncé des sanctions tarifaires entre 10 et 25% sur l’acier et l’aluminium en mars 2018. Il y avait soumis le Canada et le Mexique en mai, avant de les exempter un an plus tard. Puis de remettre des tarifs sur l’aluminium canadien en août 2020 et de les supprimer en septembre, rappelle Florian Marini, responsable des investissements chez Bruellan. «Il est donc possible qu’une guerre commerciale ne se déclenche pas, mais l’environnement restera très volatil», estime-t-il.

«Quelles que soient les combinaisons entre ces différents facteurs, on se dirige vers davantage d’inflation d’ici un an, qui pourrait augmenter de 0,3-0,4%, mais jusqu’à 1,5% selon les scénarios. Il faudra aussi voir l’évolution de la croissance ou du billet vert», reprend Fabrizio Quirighetti. La Fed de Boston estime par exemple que les tarifs douaniers de 25% sur le Canada et le Mexique et ceux de 10% sur la Chine ajouteraient 0,5 à 0,8% d’inflation.

Politique migratoire inflationniste

Un autre facteur inflationniste, moins commenté, découle des massifs renvois aux frontières que veut opérer Donald Trump, enchaîne Florian Marini, de Bruellan: «Sous Joe Biden, l’immigration de 3 à 4 millions d’individus par année apportait 2 millions de travailleurs supplémentaires à l’économie américaine; or l’administration Trump veut limiter l’immigration à un demi-million, ce qui tarira l’offre de main-d’œuvre.»

La demande de la part des entreprises n’étant pas particulièrement tendue pour le moment, les conséquences de cette raréfaction de la main-d’œuvre risque d’apparaître plus tard – en 2026 si la croissance demeure forte outre-Atlantique – et d’alimenter une inflation via les salaires, qui sont un puissant vecteur de hausse des prix, détaille le responsable des investissements genevois.

En plus de mesures pro-croissance comme les baisses d’impôts et les allègements de la réglementation, Donald Trump veut aussi un prix du pétrole bas, enchaîne Sébastien Gyger, de la Banque cantonale vaudoise (BCV). «C’est l’un des piliers de son programme, qui est certes moins commenté mais qui pourrait contrebalancer les effets d’autres décisions, puisqu’une énergie moins chère influence considérablement le niveau général des prix», observe le responsable des investissements.

Le président républicain souhaite augmenter la production américaine de 3 millions de barils équivalents pétrole par jour, alors que les Etats-Unis fournissent un total de 13 millions de barils. Si elle se concrétise, cette production supplémentaire pourrait provoquer une baisse des cours mondiaux dans la mesure où les autres grands producteurs, comme la Russie ou l’OPEP, restreignent plutôt leurs flux; les tensions géopolitiques semblent en voie d’apaisement et les énergies vertes alimentent aussi l’offre, décrypte Sébastien Gyger.

«Je vais demander à l’Arabie saoudite et à l’OPEP de baisser le coût du pétrole», avait d’ailleurs affirmé le président américain lors du WEF de Davos, le 23 janvier. Le baril de brut est pour le moment resté stable sur un mois, à environ 71 dollars pour le WTI.

«Trop beau pour être vrai»

Ce souhait d’avoir un pétrole moins cher tout en augmentant la production américaine est «trop beau pour être vrai», estime Florian Marini, de Bruellan. D’une part, dans les hydrocarbures, les projets s’étalent sur plusieurs années, donc «les producteurs ont besoin de prix stables ou en augmentation, pas d’une baisse des cours». D’autre part, les investissements sont colossaux, en particulier en acier, qui représente 10 à 20% du coût total pour des projets onshore ou de 20% à 35% pour de l’offshore.

«Or l’acier va coûter plus cher à cause des tarifs douaniers de 25% qui entreront en vigueur le 12 mars. Il est donc peu probable que les entrepreneurs américains suivent la volonté de Trump dans ces conditions», estime Florian Marini.

La Fed veut éviter une erreur de politique monétaire

Avoir une inflation déjà élevée (comme en janvier) alors que les tarifs douaniers vont entrer en vigueur n’est peut-être pas optimal. Car l’économie américaine se trouve peut-être déjà en surchauffe. Tous les composants de l’indice des prix sont d’ailleurs repartis à la hausse en janvier (nourriture, biens, énergie, voitures d’occasion, services, logement), tirés par la hausse rapide des salaires qui se poursuit (+4,1% en glissement annuel, +0,5% en glissement mensuel), relève une note du gérant d’actifs Silex.

Ces tendances n’encourageront pas la Réserve fédérale à baisser ses taux d’intérêt. Le gouverneur de la Fed, Jerome Powell, l’a d’ailleurs répété mercredi lors de son audition par le Sénat: la banque centrale américaine n’est pas pressée de réduire les taux d’intérêt de sitôt. Voilà qui pourrait entrer en conflit avec la volonté de Donald Trump d’avoir des taux d’intérêt bas.

Mais le risque d’interférence du président – et donc d’erreur de politique monétaire – semble réduit depuis que le nouveau secrétaire au Trésor, Scott Bessent, a précisé que l’administration veut des taux à 10 ans bas – pas forcément les taux à court terme contrôlés par la Fed, de manière à éviter un alourdissement de la charge de la dette publique et favoriser les investissements (qui se font sur des horizons de plusieurs années). «C’est rassurant, reprend Fabrizio Quirighetti, de Decalia. Pour que les taux longs restent bas, le gouvernement doit faire attention à équilibrer son budget et la Fed doit conserver sa crédibilité, ce qui implique qu’elle garde sa liberté d’agir.»

L’inflation transitoire, atout dans le jeu de Trump

Comme le suggère son nom, le président américain bénéficie aussi peut-être d’un atout («trump» en anglais) face à l’inflation. Ou plutôt d’un effet d’optique: l’entrée en vigueur des tarifs douaniers – si elle se confirme aux niveaux évoqués – aura un effet inflationniste limité dans le temps. Ces droits de douane feront augmenter les prix par rapport à l’année précédente, mais ensuite les prix resteront stables. En conséquence, l’inflation sera nulle à partir de la deuxième année.

Le président américain pourra donc affirmer que la hausse des prix a été contenue à un bref sursaut. Mais dans la réalité, les prix resteront plus élevés qu’avant les tarifs douaniers, ce qui pénalisera le pouvoir d’achat des consommateurs américains.

Bénéfice du doute

Un autre effet envisageable est que la hausse des prix ralentira la consommation, de la même façon que lorsque le prix d’un bien bondit, les gens réduisent leurs achats. Le ralentissement économique qui s’ensuivrait aurait un effet déflationniste.

Pour le moment, la population américaine ne s’attend pas à une bouffée inflationniste d’ici un an, prévoyant une hausse des prix de 3% à cet horizon selon les derniers sondages sur la confiance des consommateurs. Mais cette moyenne cache des réalités bien différentes selon à qui on pose la question: les partisans de Donald Trump estiment que la hausse des prix sera nulle d’ici un an, tandis que ceux qui n’ont pas voté pour lui prévoient 6%… Trump a toujours le bénéfice du doute.

Source : Le Temps.